Beaucoup de journalistes s’intéressent à la préparation des chefs des différents partis pour les débats qui s’en viennent. De mon côté, il y a de l’anticipation et de l’excitation générale à l’idée de pouvoir finalement faire entendre la vision du Parti Vert à la table ronde des chefs. Demain soir, je serai assise à côté de Stephen Harper à une table ovale où se trouveront également tous les autres chefs. Le débat a subi de nombreux changements depuis la dernière fois qu'il y en a eu des débats au Canada au niveau fédéral. D'une part, aucun chef n'aura de texte écrit ni de document de politiques devant lui. Si les candidats semblent bien préparés, ce sera entièrement attribuable à leur mémoire. D’autre part, nous demeurerons assis tout au long de la soirée et davantage de temps sera accordé aux discussions d’ordre général et à la confrontation des idées que par les années passées.
J’ai commencé ma préparation pour le débat en français en fin d'après-midi en passant en revue certains éléments que je dirai probablement dans mon introduction. J’ai aussi calculé si cette déclaration d’ouverture respectait le temps que nous devions accorder à cette partie (45 secondes). Mes conseillers en français ont alors corrigé mes erreurs et m’ont suggéré des façons plus concises et plus claires d’exprimer mes idées. Mais juste au moment où nous étions à mettre la touche finale à l’introduction, nous avons découvert que le format du débat avait été modifié. En fait, il n’y aurait plus d’introduction ni de conclusion. Cette fois-ci, la modification du débat n'était pas une initiative du consortium des réseaux, mais bien une demande du premier ministre, M. Stephen Harper. Étant donné l’état de la crise financière aux États-Unis et les répercussions possibles qu’elle pourrait avoir au Canada, M. Harper a suggéré aujourd’hui que nous consacrions la moitié du débat à l’économie. Il est vrai que cette situation est alarmante et très pertinente actuellement pour les Canadiennes et les Canadiens en matière de politique. Toutefois, je crois que nous devons aborder les préoccupations d'ordre économique en parlant des faits véritables et des preuves les plus solides qui soient. Je ne crois pas que les politiciens soient les personnes les mieux placées pour éclairer la population canadienne sur cette question ni pour donner une opinion réaliste sur la position de tous les partis à ce sujet.
Bien que Stephen Harper crie haut et fort qu’il a la situation bien en main, je ne l'ai entendu faire aucune analyse sérieuse de la situation économique jusqu’à présent, et je serais franchement surprise de l’entendre dire quelque chose de nouveau au cours des débats. Il affirme que les bases de notre économie sont solides, alors que les économistes disent qu’elles seront probablement influencées par la baisse marquée de la sécurité économique aux États-Unis. D’ailleurs, Don Drummond, économiste en chef de la Banque TD, a déclaré aujourd’hui que les prévisions des Conservateurs en ce qui a trait à l’économie étaient beaucoup trop optimistes, et que ces derniers pourraient créer des déficits sans s’en rendre compte. Pendant ce temps, M. Harper parle de « ne pas prendre de risques. » C’est un scandale que personne ne lui ait demandé d’expliquer les risques qu’il semble plus prêt que jamais à vouloir prendre. Sa politique en matière d‘économie a réduit notre productivité et nous a rendus plus vulnérables aux chocs internationaux, étant donné qu’il a mis tous nos œufs dans le panier des sables bitumineux et a rompu sa promesse concernant les fiducies de revenu, ce qui a permis à des sociétés étrangères d’acheter des entreprises canadiennes en grand nombre. Nous avons perdu 400 000 emplois dans l’industrie manufacturière et 100 000 emplois dans les pâtes et papiers, en plus de subir des pertes dans des secteurs sensibles à la force du dollar, comme le tourisme et la pêche. Le rapport de l’OCDE (juin 2008) indique que la direction choisie par Harper est risquée dans une période où la récession menace les États-Unis. À tout cela s’ajoute le fait que le gouvernement conservateur n’a pris aucune mesure concrète à l’échelle nationale pour lutter contre les changements climatiques et a changé notre position sur la scène internationale dans les négociations concernant Kyoto pour adopter ouvertement la doctrine de Bush. J’espère que les Canadiennes et les Canadiens ne seront pas dupes. Le plus grand risque est de réélire M. Harper.
Il est scandaleux que les réseaux de télévision puissent être influencés à un point tel où ils décident de changer à la dernière minute le sujet principal du débat en raison d'un participant. Oui, l’économie est un point important. Mais les Canadiennes et les Canadiens sont conscients qu’il y en a beaucoup d’autres. À quoi bon avoir une économie solide si sa viabilité est de courte durée et sert à enrichir une minorité de la population? Les débats n’incluront pas des sujets comme la justice pour les Premières nations et la résolution du problème de la pauvreté au Canada. Les sujets des soins à l'enfance, de la souveraineté dans l'Arctique et de la protection des réserves d'eau douce ne seront pas abordés non plus. Beaucoup de sujets importants sont à l’ordre du jour, dont, bien sûr, l'économie. Mais que tireront les Canadiennes et les Canadiens d’un débat d’une durée de 28 minutes sur l’économie? Si les autres chefs utilisent leur rhétorique habituelle, je prédis que les téléspectateurs vont avoir envie de changer de chaîne. Le soir des débats en anglais, la tentation sera déjà énorme de regarder Biden et Palin s’affronter plutôt que d'être à l'écoute des élections canadiennes. Je ne serais pas surprise que cela soit la tactique initiale d’Harper. Après tout, nous savons tous qu’il n’aime pas prendre la parole sans texte écrit.
Malgré cette longue tirade, je ne suis pas totalement mécontente de la décision de donner plus d'importance à l'économie dans les prochains débats. Stephen Harper semble croire qu’il peut l’emporter dans le domaine des politiques économiques avec quelques lignes sur la stabilité de son gouvernement et les dépenses des Libéraux. Je me prépare à montrer aux Canadiennes et aux Canadiens que le Parti Vert possède de nombreuses politiques économiques solides et que le premier ministre n’a rien d’autre à offrir que des réductions d’impôts à la mode, le refus de voir les changements climatiques et une fausse allégation au sujet des politiques de l'opposition qui « ruineraient l'économie. »