« La réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité. »
—Mark Twain
Je viens tout juste de terminer la lecture de deux œuvres politiques imbibées de sensationnalisme. Si ces exemples de fiction venaient à dépasser la réalité, nous aurions alors de gros problèmes.
Compte tenu de la situation pitoyable dans laquelle se retrouvent aujourd’hui nos médias d’information nationaux, où seule une poignée de journalistes a suffisamment de temps et de ressources pour rechercher et transmettre l’information, il se pourrait bien que la seule vérité à laquelle nous ayons accès pour savoir ce qui se passe réellement à Ottawa soit issue de notre fiction.
La lecture successive de ces deux livres est tout à fait le fruit du hasard. La maison d’édition de Linda Svendsen a eu la gentillesse de me faire parvenir un exemplaire de Sussex Drive – inside the backrooms and the bedrooms of the nation dès sa publication l’automne dernier. Le roman était inséré au milieu d’une pile de livres que j’avais l’intention de lire, mais s’est retrouvé sur le dessus de la pile après une conversation fortuite au Festival des écrivains de Galiano Island. En effet, Annabel Lyon (l’auteure britanno-colombienne de deux ouvrages importants : The Golden Mean, finaliste pour le prix Giller, finaliste pour le Prix littéraire du Gouverneur général et lauréat du prix Rogers Writers’ Trust Fiction, et The Sweet Girl) m’a chaudement recommandé la lecture du dernier roman de Svendsen. Aussi, je venais à peine de commencer la lecture de Sussex Drive, lorsque l’un de mes journalistes parlementaires préférés, Stephen Maher (du duo MacGregor-Maher ayant couvert le scandale des appels trompeurs) publia son tout premier roman, Deadline.
Ces deux ouvrages s’articulent autour de la vie sur la Colline du Parlement. Les deux sont de toute évidence des ouvrages de fiction, avec des événements qui dépassent largement tout le cynisme avec lequel j’aurais pu analyser ce qui se passe à Ottawa (des voitures qui explosent, des meurtres, du chantage, etc.). Il n’en demeure pas moins que ces deux romans suivent de très près certains événements bien réels.
Sussex Drive met en scène un premier ministre hargneux, qui proroge le Parlement à deux reprises, et une gouverneure générale très élégante, originaire d’un petit pays africain, confrontée à des choix difficiles. Deadline nous présente une série de rapports du Bureau du vérificateur général accusant le gouvernement de mal tenir ses dossiers et de gaspiller l’argent des contribuables, notamment avec la construction de nouvelles prisons, et de conclure en catimini une série de transactions douteuses avec les sociétés d’État chinoises, qui font main basse sur le pétrole des sables bitumineux. Les deux pullulent de messages échangés par BlackBerry. Cependant, ce ne sont ni l’intrigue ni les événements ou les personnages issus de la fiction qui font que ces livres collent d'aussi près à la réalité. Ici, même les détails les plus insignifiants sonnent juste et offrent un regard cynique sur la politique, la manipulation des médias et cet effort constant pour garder le public dans l’ignorance totale.
Je recommande chaudement ces deux excellents romans – captivants et intelligents, ils pourraient facilement faire sensation dans les salles de cinéma du Canada. Quoi qu’il en soit, la prose de Svendsen m’a quand même amenée à me poser la question à savoir comment elle connaissait aussi bien les dangers qui guettent notre démocratie :
[traduction]
« Il était à présent évident qu’elle ne pourrait rien faire pour aider le Canada. Sa démocratie présentait déjà les premiers signes de la maladie d’Alzheimer. Sa démocratie était plongée dans un coma éthique provoqué par les médias; elle était atteinte d’une forme d’amnésie parlementaire permanente… »
Peut-être la fiction pourra-t-elle enfin nous réveiller.